Las Cholitas escaladoras de Bolivie: l’aventure en crampons et jupons

Auteure :  Émilie Michaud 
Temps de lecture : 5 minutes

Elles sont guides, entrepreneuses, gestionnaires et elles ont fait leur place dans un secteur majoritairement masculin. Découvrez notre série sur les femmes dans le secteur du tourisme. À travers leur parcours et leurs enjeux, ces femmes inspirantes nous poussent à l’aventure !

À une vingtaine de kilomètres de la Paz, en Bolivie, s’élève le Huayna Potosi, montagne majestueuse de 6088 m d’altitude au cœur de la cordillère Royale. Si vous vous approchez, vous apercevrez des éclats de couleur sur son flanc. Approchez-vous encore ! Venez rencontrer les Cholitas escaladoras, les femmes guides autochtones aymaras des Andes.  

Nous vous présentons Ana Lia Gonzales Magueño, ou « Liita » pour les amis. Liita est originaire de la communauté rurale Cañaviri de Zongo à La Paz. Enseignante à l’école primaire le jour, et guide de randonnée et d’alpinisme certifiée tout le reste du temps. La montagne, elle en mange depuis qu’elle est jeune : son père, Agustin Gonzales, est guide certifié UIAGM et propriétaire du refuge Las Rockas, situé à 5200 m d’altitude en haute montagne (campo alto), tandis que sa mère, Dora Magueño, est cuisinière pionnière et accompagnatrice d’expédition. Avec deux parents dans le milieu, Liita a rapidement ressenti l’appel de l’aventure. Au grand dam de son père, qui refusait qu’elle l’accompagne au début, quand elle avait une dizaine d’années : l’équipement n’était pas conçu pour son petit gabarit et le milieu était encore dominé par les hommes. Il a toutefois accepté de l’emmener sur la plus haute piste de ski au monde sur la Chacaltaya à plus de 5300 m d’altitude (piste disparue depuis, en raison de la fonte du glacier). Liita y a trouvé une passion et une volonté de changer le statu quo ! C’est décidé, elle travaillera à la montagne, elle sera guide, comme son papa ! 

Comme toute femme qui met un pied dans un domaine habituellement réservé aux hommes, Liita a connu des embûches : la jalousie des guides masculins, l’incompréhension, les insultes parfois aussi. Heureusement, ses parents ont cru en elle. Son professionnalisme (Liita possède une certification de trekking et une préformation de guide de haute montagne) et son talent d’alpiniste — elle a, à son actif, plusieurs montagnes de plus de 6000 m dont le légendaire Aconcagua et elle a même atteint le sommet du Huayna Potosi plus d’une cinquantaine de fois— lui ont permis de se faire un nom, elle est maintenant une guide demandée, tant par les touristes femmes qu’hommes. Les autres guides lui demandent maintenant conseil sur le matériel, les voies, les prévisions météorologiques. Les hommes ont peut-être l’avantage physique pour le métier, mais les Cholitas sont les véritables gardiennes de la montagne, qui détiennent plus de connaissances théoriques ; Liita considère aussi qu’elle gère les clients de manière exemplaire et qu’elle est plus consciente de l’aspect environnemental (notamment tout ce qui concerne la gestion des déchets ou encore l’installation de toilettes dans le refuge sur la base de bio digesteurs, ce qui est plus respectueux de l’environnement en montagne). L’état des glaciers est inquiétant en Bolivie, il faut donc agir maintenant. 

Liita se souvient parfaitement de sa première ascension du Huayna Potosi. C’était en 2015. Une femme de la communauté avait grimpé au sommet de la montagne avec son jupon traditionnel, la pollera. Un cameraman avait alors voulu immortaliser le moment et avait demandé à d’autres femmes aymaras si elles voulaient grimper. Liita qui a eu vent du projet a sauté sur l’occasion. Elle et sa mère ont rejoint le groupe de onze Cholitas. C’était une occasion unique ! Sa maman est partie avec un casque de moto parce qu’il n’y en avait pas d’autres. Liita, elle, portait 3 paires de bas parce qu’il faisait trop froid et ses bottes étaient trop grandes… Leur mantra : « on y va comme on peut ! ». Si leur équipement laissait à désirer, elles ne manquaient certainement pas d’enthousiasme ni de détermination. Le jour de son anniversaire, le 16 décembre 2015, Liita était au sommet du Huayna Potosi. L’un des plus beaux moments de sa vie, et le début d’une longue série d’ascensions. C’est ainsi que le premier groupe de Cholitas escaladoras s’est formé. Avec Dora, sa mère, elles ont décidé d’aller escalader une autre montagne, puis une autre, etc. Le groupe de onze pionnières s’est séparé, mais cinq d’entre elles ont grimpé l’Aconcagua, le « colosse de l’Amérique » avec ses 6962 mètres d’altitude. Cette ascension a fait l’objet d’un film et a fait décoller sa carrière de guide. Liita a le sentiment d’avoir réalisé une partie de ses aspirations mais elle est plus rêveuse que jamais : elle veut escalader les plus hautes montagnes des continents et atteindre un sommet de 8 000 mètres.

Un mot sur la pollera (le jupon) et le bombin (le chapeau). Les vêtements, qui étaient des marqueurs de classe sociale imposés par les conquistadors espagnols (ils voulaient identifier les Cholitas, mais aussi les exclure de la société), sont devenus des symboles de la culture aymara. En 2006, l’élection d’un président d’origine aymara est venue changer la donne, permettant de revaloriser l’identité des Cholitas. D’ailleurs, leurs droits ont été inscrits dans la Constitution bolivienne en 2010, gage de reconnaissance nationale. 

Cela dit, même en pleine nature, le nerf de la guerre, c’est le financement : pour former d’autres femmes, il faut une école, il faut acheter de l’équipement ; tout ça, c’est extrêmement dispendieux. Les Cholitas escalodoras ont obtenu du soutien de certains organismes internationaux, mais pas nationaux. Déboulonnons tout de suite un mythe, oui les Cholitas s’aventurent en montagne avec leur pollera, mais aussi avec des vêtements adaptés aux conditions de haute montagne (en plus de l’équipement d’alpinisme comme les crampons, les casques et les piolets). Dans les situations dangereuses, un passage escarpé par exemple, la pollera peut devenir une vulnérabilité, alors Liita l’enlève et revêt de l’équipement dit « standard ». Cela dit, le Huayna Potosi se monte avec la pollera ! Elle et son groupe de Cholitas discutent actuellement avec une marque de vêtement pour obtenir une commandite pour leur voyage au Mont-Blanc en 2025.  

La montagne lui a beaucoup appris, elle lui a enseigné l’humilité, la force que la terre peut donner pour réaliser ses rêves, pour transcender les frontières, pour que les femmes aymaras cachées aient plus de visibilité. C’est à son tour de transmettre ses connaissances et d’inspirer d’autres femmes boliviennes à se lancer en donnant des conférences et des exposés. D’un point de vue personnel, après des ascensions, les voyages et la visibilité que tout ça lui a apportée, il était temps de formaliser les aventures des Cholitas en créant une organisation à but non lucratif. C’est chose faite avec Cholitas escaladoras y trekking maya*, dont l’objectif est d’inspirer les femmes en Bolivie et dans le monde à pratiquer des sports de montagne pour transmettre des messages de lutte pour les rêves, de promotion de l’égalité des sexes, d’autonomisation, d’entretien des montagnes, de lutte contre la violence, de randonnée et d’escalade des montagnes en Bolivie et dans le monde. Tout un programme !  

Liita ne manque pas de projets, elle est sur le point d’ouvrir une agence de voyages pour organiser des treks et des expéditions, parce qu’en tant qu’alpinistes et randonneuses Cholitas, elle et ses collègues désirent porter des messages de puissance jusqu’aux sommets. Grâce à Liita, on peut apercevoir des polleras sur les pentes escarpées des montagnes. Depuis quelques années, on peut aussi en voir sur les rings de lutte et sur des planches à roulettes. Car, fortes d’une volonté de s’émanciper en conservant leur riche culture bien vivante, les Cholitas investissent peu à peu les sports longtemps considérés comme masculins. Elles sont des symboles de la lutte féminine en Bolivie.

« Il faut continuer d’être audacieuse, et faire preuve d’endurance tant mentale que physique ! La montagne vous apprend qu’il faut être humble, le danger est toujours là, à vous attendre. Il faut travailler en équipe, entre hommes et femmes. N’abandonnez pas. Ne laissez jamais passer les opportunités, votre vie est le résultat de plusieurs opportunités que vous saisissez. » Liita

D’ici à ce que l’agence de Liita soit créée, n’hésitez pas à nous écrire pour l’organisation de votre prochain séjour en montagne en Bolivie, pour oser une expérience qui sera sans aucun doute mémorable en plus d’appuyer une initiative féminine audacieuse et porteuse de sens !

Une levée de fonds est présentement en cours pour appuyer les Cholitas escaladoras, jetez-y un coup d’oeil!

*Dans le nom de l’agence «Cholitas escaladoras y trekking maya», le mot «maya» en aymara signifie «premier, première», de par la nature pionnière des Cholitas.

**Crédit photo d’entête: Tod Antony

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